Obligation de sécurité de l’employeur : une mutation à préciser

Obligation de sécurité de l’employeur : une mutation à préciser

L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail).
Depuis 2002, la Chambre sociale de la Cour de Cassation juge qu’il s’agit d’une obligation de sécurité de résultat (jurisprudence constante depuis Cass. soc. 28 février 2002, n°00-11793).

Autrement dit, la responsabilité de l’employeur était automatiquement engagée dès lors qu’il était porté atteinte à la sécurité ou à la santé du salarié (ou qu’il risquait de l’être) et ce, quelles que soient les mesures de prévention que l’employeur avait pu prendre.

Récemment, cette approche paraît néanmoins avoir été remise en cause. Dans un arrêt en date du 25 novembre 2015, la Cour de Cassation a en effet jugé que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail » (Cass. soc. 24 novembre 2015, n°14-24444).

Dans cette affaire, un salarié d’Air France occupant le poste de chef de cabine avait été pris d’une crise de panique ayant donné lieu à un arrêt de travail en avril 2006. Un an et demi plus tard, il avait saisi le conseil de prud’hommes pour faire condamner à Air France à lui payer des dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité après les attentats du 11 septembre 2001.

La Cour de Cassation a estimé que la Cour d’appel avait pu juger que l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité de résultat car :

– elle avait constaté « d’une part, que l’employeur, ayant pris en compte les événements violents auxquels le salarié avait été exposé, avait, au retour de New-York le 11 septembre 2001, fait accueillir celui-ci, comme tout l’équipage, par l’ensemble du personnel médical mobilisé pour assurer une présence jour et nuit et orienter éventuellement les intéressés vers des consultations psychiatriques, d’autre part que le salarié, déclaré apte lors de quatre visites médicales intervenues entre le 27 juin 2002 et le 18 novembre 2005, avait exercé sans difficulté ses fonctions jusqu’au mois d’avril 2006 » ;
– elle avait relevé que « les éléments médicaux produits, datés de 2008, étaient dépourvus de lien avec ces événements dont il avait été témoin ».

La solution retenue par cet arrêt est à la fois claire et obscure.

Claire dans la mesure où est posé le principe selon lequel l’employeur peut être exonéré de toute responsabilité s’il prouve avoir pris toutes les mesures de protection prévues par le code du travail.

Obscure dans la mesure où :

– la Cour de Cassation considère en l’espèce que les juges du fond ont « pu déduire l’absence de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat ». La Cour utilise donc toujours la notion d’obligation de résultat. Pourtant, le fait même que l’employeur puisse être dédouané s’il est avéré qu’il a pris toutes les précautions adéquates révèle qu’il n’est plus soumis à une obligation de résultat mais à une obligation de moyens. Il semble donc y avoir une contradiction sur ce point.
– la Cour de Cassation ne se contente pas de motiver sa décision par le fait que la Cour d’appel avait constaté que l’employeur avait pris toutes les mesures de protection nécessaires : elle souligne également que les juges avaient relevé que les éléments médicaux produits par le salarié étaient dépourvus de lien avec les événements dont il avait été témoin (le 11 septembre 2001). Si ces éléments médicaux étaient dépourvus de lien avec ce qui s’était passé le 11 septembre 2001, on peut se demander pourquoi alors les juges ont pris la peine d’examiner si l’employeur avait pris toutes les précautions utiles à la protection du salarié à la suite de ces événements.

Il convient d’attendre d’autres décisions qui viendront affiner cette jurisprudence et confirmer la mutation de l’obligation de sécurité en une obligation de moyens. Au vu du caractère essentiel de la préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs, cette obligation ne pourra être qu’une obligation de moyens renforcée, comme cela semble ressortir de la rédaction de l’arrêt du 25 novembre dernier. Précisons que la différence entre une obligation de moyens et une obligation de moyens renforcée réside dans la charge de la preuve. Ainsi, le débiteur d’une obligation de moyens voit sa responsabilité engagée si le créancier de l’obligation prouve qu’il a commis une faute ; le débiteur d’une obligation de moyens renforcée est quant à lui jugé responsable s’il ne parvient pas à prouver qu’il n’a commis aucune faute.

Paradoxalement, la fin de l’obligation de sécurité de résultat pourrait avoir un effet bénéfique sur le comportement des employeurs. Jusqu’à présent en effet, puisqu’ils étaient jugés responsables quelles que soient les précautions qu’ils avaient prises, cela n’incitait pas les moins scrupuleux d’entre eux à adopter une attitude consciencieuse en mettant en place des mesures protectrices envers leurs salariés. Cette dernière remarque doit néanmoins être relativisée car ne pas prendre les mesures de protection adéquates exposait et expose toujours l’employeur à des actions en reconnaissance de faute inexcusable ainsi qu’à des sanctions pénales (par exemple pour mise en danger de la vie d’autrui).

A suivre donc…