Quelques précisions sur l’articulation entre rupture conventionnelle et licenciement
Employeur et salarié peuvent convenir ensemble de rompre le contrat de travail par le biais d’une rupture conventionnelle1.
Schématiquement, ils doivent pour ce faire signer une convention de rupture conventionnelle et chacun d’entre eux dispose d’un délai de 15 jours calendaires à compter de la signature pour se rétracter. A l’issue de ce délai de rétractation, l’employeur ou le salarié adresse une demande d’homologation à l’administration qui dispose d’un délai d’instruction de 15 jours ouvrables à compter de la réception de cette demande. A défaut de réponse de l’administration dans ce délai, la convention de rupture conventionnelle est réputée homologuée, l’homologation par l’administration étant une condition de validité de la rupture conventionnelle.
L’article L. 1237-11 du code du travail dispose que « la rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties ». Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe aucune articulation possible entre rupture conventionnelle et licenciement. La Chambre Sociale de la Cour de Cassation, complétant sa jurisprudence en matière de rupture conventionnelle, a apporté quelques précisions sur ce point.
♦ Rupture conventionnelle après la notification du licenciement
Elle a ainsi jugé que la conclusion d’une rupture conventionnelle est possible après la notification du licenciement. Selon la Cour en effet, le fait que la rupture conventionnelle soit conclue postérieurement signifie que l’employeur et le salarié ont tous deux renoncé au licenciement au profit d’une rupture conventionnelle (Cass. soc. 3 mars 2015, n°13-20549). A notre sens, cela ne sera possible que si le contrat est toujours en cours d’exécution au moment de la signature de la rupture conventionnelle, ce qui paraît exclure les licenciements dans lesquels le salarié est privé de son préavis (cas des licenciements pour faute grave ou lourde).
♦ Licenciement disciplinaire après signature d’une rupture conventionnelle
Dans un autre arrêt rendu le même jour, la Cour de Cassation a précisé qu’un employeur qui avait engagé une procédure de licenciement disciplinaire puis signé une rupture conventionnelle avec le salarié concerné pouvait reprendre la procédure de licenciement disciplinaire si le salarié exerçait son droit de rétractation.
Dans cette affaire, l’hypothèse était la suivante : un employeur avait convoqué un salarié à un entretien préalable à licenciement disciplinaire, entretien au cours duquel l’employeur et le salarié avaient finalement signé une rupture conventionnelle. Le salarié ayant ensuite exercé son droit de rétractation, l’employeur avait repris la procédure disciplinaire, en le convoquant à nouveau à un entretien préalable à licenciement puis en le licenciant pour faute grave.
Le salarié a contesté le licenciement, en soutenant notamment que la rupture conventionnelle étant un mode de rupture du contrat de travail autonome, l’employeur qui choisit, à la date où il a eu connaissance exacte et complète de faits imputables au salarié, de lui proposer une rupture conventionnelle, renoncerait ce faisant à engager une procédure disciplinaire pour ces mêmes faits.
La Cour de Cassation n’a pas suivi son raisonnement puisqu’elle a considéré au contraire que « la signature par les parties au contrat de travail d’une rupture conventionnelle, après l’engagement d’une procédure disciplinaire de licenciement, n’emporte pas renonciation par l’employeur à l’exercice de son pouvoir disciplinaire ; qu’il s’ensuit que si le salarié exerce son droit de rétractation de la rupture conventionnelle, l’employeur est fondé à reprendre la procédure disciplinaire par la convocation du salarié à un nouvel entretien préalable dans le respect des dispositions de l’article L. 1332-4 du code du travail et à prononcer une sanction, y compris un licenciement pour faute grave » (Cass. soc. 3 mars 2015, n°13-15551).
La solution est donc claire : l’employeur peut reprendre la procédure de licenciement disciplinaire et pour ce faire, il doit convoquer à nouveau le salarié à un entretien préalable, sous réserve que le délai de prescription de deux mois des faits fautifs, prévu par l’article L. 1332-4 du code du travail, ne soit pas écoulé.
Sur ce point, la Cour de Cassation a apporté une précision essentielle par un autre arrêt du même jour (Cass. soc. 3 mars 2015, n°13-23348). Dans cette troisième affaire, dans deux courriers en date des 7 et 16 septembre 2010, un salarié s’était vu reprocher par son employeur plusieurs absences injustifiées, dont la dernière avait eu lieu le 11 septembre 2010. Puis, le 28 octobre 2010, une rupture conventionnelle fut signée entre eux et le salarié exerça ensuite son droit de rétractation. Quelques jours plus tard, soit le 16 novembre 2010, l’employeur le convoqua à un entretien préalable à licenciement et le licenciement disciplinaire fut notifié le 6 décembre suivant, pour absence sans autorisation.
Ce licenciement fut jugé sans cause réelle et sérieuse par la Cour d’appel au motif qu’à la date de convocation à l’entretien préalable à licenciement (c’est-à-dire le 16 novembre 2010), la prescription de deux mois des faits fautifs était acquise. L’employeur exerça un pourvoi en Cassation, en soutenant notamment que la signature de la convention de rupture conventionnelle avait interrompu la prescription.
La Cour de Cassation lui donna tort, en jugeant que : « la signature par les parties d’une rupture conventionnelle ne constitue pas un acte interruptif de la prescription prévue par l’article L. 1332-4 du code du travail » (Cass. soc. 3 mars 2015, n°13-23348, préc.).
Autrement dit, l’employeur devra se montrer vigilant s’il souhaite privilégier la rupture conventionnelle mais se ménager la possibilité de licencier le salarié concerné pour un motif disciplinaire dans l’hypothèse où ce dernier, après avoir signé la convention de rupture conventionnelle, se rétracterait.
♦ Rupture conventionnelle après l’engagement d’une procédure disciplinaire avortée
Inversement à l’hypothèse susmentionnée, une rupture conventionnelle peut-elle être signée et homologuée par l’administration après l’engagement d’une procédure de licenciement à l’encontre du salarié ? Dans une telle hypothèse, une procédure de licenciement est engagée mais au lieu de mener à terme le licenciement, employeur et salarié concluent une rupture conventionnelle qui devient définitive du fait de son homologation par l’administration.
La Cour de Cassation n’a pas posé d’interdiction de principe.
Certes l’existence d’un différend entre l’employeur et le salarié n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conventionnelle (Cass. soc. 23 mai 2013, n°12-13865). Il revient toutefois aux juges du fond, c’est-à-dire aux conseils de prud’hommes et cours d’appel, d’apprécier souverainement si les faits qui leur sont soumis révèlent un vice du consentement (Cass. soc. 23 mai 2013, préc. et Cass. soc. 16 septembre 2015, n°14-13830).
Il est intéressant de noter à cet égard que la Cour d’appel de Chambéry a considéré « qu’en matière de rupture conventionnelle, le choix du salarié, à savoir celui de rester ou non volontairement dans l’entreprise, doit être libre et éclairé, qu’il ne peut donc s’agir d’une alternative entre quitter volontairement l’entreprise ou être licencié ». La Cour d’appel a ensuite considéré, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation des fait, qu’en l’espèce le salarié n’avait eu d’autre choix que de quitter l’entreprise ou d’être licencié. Pour ce faire, elle a notamment relevé que :
- les pourparlers relatifs à cette rupture conventionnelle avaient eu lieu dans un climat de tension professionnelle (le salarié ayant reçu plusieurs correspondances de la part de l’employeur le mettant en demeure de reprendre son poste ou lui refusant des congés en l’absence de demande précise et préalable) ;
- et surtout, l’employeur avait adressé un courrier recommandé duquel il ressortait qu’il avait entendu mettre un terme à la possibilité de rupture conventionnelle et qu’à la suite de ce courrier, le salarié avait reçu le jour même de la date de signature de la convention de rupture conventionnelle une mise à pied conservatoire, avec convocation à un entretien préalable à licenciement.
Dès lors, selon la Cour d’appel, « l’employeur n’envisageait plus à cette date de recourir à une rupture conventionnelle de la relation de travail » et « le salarié n’avait donc d’autre alternative que de quitter l’entreprise ou d’être licencié » (arrêt de la Cour d’appel de Chambéry du 16 janvier 2014 ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de Cassation du 16 septembre 2015 précité, n°14-13830)2.
Par conséquent, la conclusion d’une rupture conventionnelle avec un salarié à l’encontre duquel une procédure de licenciement a été engagée n’est pas interdite en soi mais elle s’avère relativement risquée pour l’employeur.
A notre sens, le simple fait qu’une procédure de licenciement soit en cours au moment où la rupture conventionnelle est signée devrait être un élément conduisant les juges à caractériser le vice du consentement, sauf dans des cas très particuliers, tels que par exemple l’hypothèse (fort peu probable) où l’employeur indiquerait par écrit au salarié, avant la conclusion de la rupture conventionnelle, que la procédure de licenciement ne sera pas reprise si la rupture conventionnelle n’est finalement pas conclue.
Cela n’est pas la position actuelle des juges qui, dans les affaires qui leur sont soumises, prennent soin de relever, outre l’engagement d’une procédure de licenciement, l’existence d’autres éléments factuels révélant la pression de l’employeur, comme l’a fait la Cour d’appel de Chambéry dans l’arrêt précité.
Certains justifieront cette position de la jurisprudence en prétendant que le licenciement n’est jamais sûr tant que la lettre de licenciement n’est pas notifiée à l’intéressé. Ce raisonnement nous paraît artificiel puisque chacun sait que dans la quasi totalité des cas, lorsqu’une procédure de licenciement est engagée, elle se solde effectivement par un licenciement.
(1) Articles L. 1237-11 et suivants du code du travail
(2) La Cour de Cassation ne s’étant pas prononcé sur cette solution qui relevait, selon elle, de l’appréciation souveraine par la Cour d’appel de Chambéry de l’existence d’un vice du consentement.